Raymond Diégane NDONG
UNE AFFAIRE D’HERITAGE DU PRÊTRE EN CHARGE DES LIBATIONS DE
MBIND KAM: CONSEIL DES SAGES CHEZ DIARAF NIOKHOR KANGOU BOB
Novembre
2006
Au milieu de cette année-là[1] à Djilor Djidiack[2] par
une douce fin d’après-midi, Niokhor Kangou BOB, le chef du village avait
convoqué une réunion chez lui : cette réunion devait trancher sur la
succession du prêtre responsable des libations du bois sacré de Mbind Kam. Les
protagonistes étaient d’un côté Ndioug appuyé par son frère Souka : les
frères réclamant la légitimité et de l’autre
Dem Coumba qui brandissait le droit d’ainesse.
Quelques temps plus tôt, le 12ème
prêtre du nom de Nguissé Maak venait de mourir, et la tradition veut que, dès
après l’enterrement, le successeur soit désigné par la famille. Cette-fois ci,
un problème s’est posé du fait du positionnement de Dem qui évoquait le juste
droit d’ainesse comme il en a toujours été depuis Wagane Modiane, alors que
Ndioug Ngony et Souka Maak réclamaient la légitimité tout autant que le droit
d’ainesse en faveur de Ndioug. Et pour une fois le choix n’a pu être fait selon
la tradition, puis il s’en est suivie une période de tiraillements et de
disputes, au point que le Chef de village décida d’une part de geler l’affaire,
d’autre part de l‘inscrire dans l’agenda des rencontres, en précisant que la
date sera fixée. Ce faisant, il donne ainsi le temps aux deux parties de se
calmer et de réfléchir, mais en bon stratège, il se donne ainsi lui-même le
temps de ‘’consulter’’.
Le jour de cette importante réunion arriva, et
comme d’habitude, les arrivées des participants ne relève pas du hasard ou de
la coïncidence : à l’évidence, ceux qui ont les mêmes sensibilités en ont
parlé entre eux, certains plus futés ont testé les positions des adversaires potentiels,
mais tous, à l’exception de Waa Dialy BAKHOUM, ignoraient dans quel sens irait
le Chef de village. Jamais plus grand quorum n’a été atteint, au point même que
le chef de village signifiait amicalement à quelques très jeunes vieux qu’ils
ne sont pas concernés par la réunion et le sujet. La grande chambre du chef de
village était devenue si étroite qu’il fallait faire de la place à Waa Dialy
que Diaraf attendait pour commencer la réunion, puisque les deux parties
étaient déjà sur place.
Mais comment en est-on arrivé là ?
Djidiack Selbé le fondateur du village avait deux
fils avec son épouse Modiane, des noms de Wagane Modiane et Laa Demba Modiane.
Djdiack avait dit un jour qu’il ne mourra pas normalement comme les humains
mais qu’il disparaîtra. Le jour de sa disparition, il laissera ses sandales et
sa chéchia là où ses traces de pas
auraient conduits ceux qui seraient à sa recherche, et qu’ils n’auront
qu’à y enterrer les sandales et la chéchia, et désormais y faire des libations
en lui demandant ce qu’ils voudraient, et grâce à Roog Seng, ces vœux seront exhaussés.
Naturellement les fils surveillèrent le père depuis tôt le matin, jusque tard
la nuit. Ainsi, comme d’habitude, un matin de bonheur Wagane vint dire bonjour
à son père qu’il ne trouva pas dans la case. Il appela aussitôt son cadet Laa
Demba, et se souvenant de ce que leur père avait dit, suivirent les traces de
ses pas jusqu’au pied du ‘Ngane’’ (du nom scientifique Celtis integrifolia) de
l’arrière de la maison, y trouvèrent les sandales et la chécia. Ils les y
enterrèrent et depuis, l’endroit sert aux libations avec Wagane comme premier
prêtre. Quand il venait à Djilor vers 1530, Djidiack avait demandé au Roi du
Sine Khamacodou DIOUF (1516-1534) de lui donner les racines du ‘’Ngane’’ ou
micocoulier africain de la famille des Méliacées de son nom scientifique Celtis
integrifalia, qu’il planta l’un à la place publique et l’autre derrière sa
maison. C’est au pied de cet arbre que ses fils ont trouvé ses sandales et sa
chéchia.
Ainsi, le fils ainé Wagne Modiane commença
l‘exercice de prêtre tel que recommandé par Djidiack le père fondateur. A la
mort de Wagane Modiane, son jeune frère Lademba Modiane succéda, Lademba Mayé
succéda à Lademba Modiane, Djidiack Mayé succéda à Lademba Mayé, Samba Yacine
Mayé succéda à Djidiack Mayé, Ndar Coumba succéda à Samba Yacine Mayé, Ndiack
Coumba succéda à Ndar Coumba, Walé Bagne succéda à Ndiack Coumba, Dem Coumba
Diodio succéda à Walé Bagne, Wagane Gnilane succéda à Dem Coumba Diodio, Waly
Sanoy Thiobé succéda à Wagane Gnilane puis Nguissé Maak succéda à Waly Sanoy
Thiobé. C’est ainsi le successeur du 12ème prêtre Nguissé Maak qui
est l’objet du litige en cours.
Un certain Djidiack Mayé est un arrière-petit-fils
de Wagane Modiane (le fils ainé de Djidiack Selbé) et est le père de :
➢
Wagane
Mayé qui engendra Wassanou Thiobé le père de Ndioug Ngony, Fata Kor et Penda
Thioro.
Ndioug
Ngony est le père de René Sakou Mayé, Simon Mamadou Mayé et Jean Pierre
Djidiack Mayé (l’auteur de la note sur Djidiack).
➢
La
Demba Modiane qui engendra Wagane Gnilane, le père de Suka Maak. Suka Maak est
le père de Louis Djidiack, Gabriel Ndar FAYE et Martin Wagane.
C’est cela la quintessence du discours de Souka
pour démontrer la légitimité des descendants directs de Djidiqck, qui du reste
n’ont jamais quitté Djilor même après leur mort puisqu’ils sont enterrés sous
l’arbre près des effets de Djidiack. A la suite de Souka, Ndioug furieux
demande à Dem « qui es-tu, sinon que, d’alliances plus ou moins proches,
tu es venu à Djilor de Félane avec ta
femme et tes trois enfants, juste pour te rapprocher de ton oncle duquel tu
comptais hériter après sa mort. Tu n’as aucune légitimité pour hériter de cette
calebasse ». Laa Thirol et Suka le calmèrent et il se tu.
Curieusement dans cette affaire, les frères Ndioug
et Souka n’obtinrent pas la majorité, voire du fait du nombre d’indécis et de
fluctuants, ils se retrouvent plutôt minoritaires.
Dem dans son propos, souligne ; « je
suis un authentique descendant de Djidiack, Selbé et je suis aujourd’hui le
plus âgé »
« Démontres-nous le caractère direct de ta
descendance qui fonderait ta légitimité » lui lança Laa Thirol nettement
partisan, contrairement à certains dont le soutien était plus modéré. Les
indécis ont fait perdre beaucoup de temps, certains tentant même des solutions
de co-prêtrise, d’autres d’alternance, ce qui rendait l’atmosphère intenable.
Dem avait manifestement beaucoup d’atouts en main,
d’autant plus que depuis près d’une quzaine d’années qu’il est venu à Djilor en
pirogue, il a eu l’occasion de tisser de fortes relations d‘amitié avec
beaucoup de gens. De plus il est venu à Djilor avec deux spécialités
importantes : celle de surconciseur et celle de descente du venin de
serpent ; cela en fait naturellement un homme qui compte dans la hiérarchie
sociale des « connaisseurs ». L’ignorance des gens sur la véritable
situation de la large famille de Djidiack faute d‘écrits ou de récits fiables
fait que certains, bien qu’ils croyaient en Ndioug, ne pouvaient pas démontrer
en quoi Dem n’est pas légitime, pire, ils répétaient mécaniquement que Dem
était plus âgé que Ndioug.
« Vous n’avez aucune preuve pour dire que
Dem est plus âgé de Ndioug rétorqua Laa Thirol,
Si nous connaissons bien la classe d’âge de Ndioug qui a grandi avec
nous, nous ne savons rien de Dem qui est passé avant-hier devant ma maison
venant de Félane en pirogue : c’était d’ailleurs Fata et Djidiack qui
ramaient. Par quoi Dem serait-il pus âgé que Ndioug, et même si c’était le
cas, la légitimité est la conditionnalité principale que Ndioug a suffisamment
démontrée en sa faveur».
« Bien ! dit le Chef de village, quel
est l’avis de Waa Dialy » ?
« Mon point de vue est simple, dit Waa Dialy.
Je connais Ndioug depuis notre jeunesse, et sa lignée patriarcale qu’il nous a
présentée m’a suffisamment convaincue de sa légitimité, ce qui n’est pas le cas
de Dem. Je préfère m’en tenir à celui que je connais et demande de laisser la
charge à Ndioug » ;
Dem rétorqua violemment contre Waa Dialy
« Toi-même tu oublies que tu viens de Djilas ? Qui es-tu pour nous
donner des leçons de légitimité? ».
Latyr répliqua : « Tout le monde ici est
venu de quelque part à commencer par le fondateur Djidiack. Le problème est de
savoir ce que chacun revendique, comme ici la légitimité dont parle Ndioug que
je ne lui revendiquerais pas, d’ailleurs pas comme autant que pour toi qui
es ici le dernier arrivant ».
« Ca suffit lanca le chef de village, il se
fait tard et nous devons conclure. J’ai écouté tous les avis des uns et des
autres, mais il faut un compromis. Après mûres réflexions, je ne veux pas
douter de la légitimité de Ndioug come celle de Dem, mais à légitimité
comparable, le droit d’ainesse prévaudra. Vous savez tous que je suis plus âgé
de Ndioug, et je vous dis que je suis de la même classe d’âge que Dem. Ceci étant la charge va revenir à Dem
coumba : telle est la décision finale du Conseil que la grande majorité
approuve ici, et la séance est levée. Dem tu peux officier le plus tôt
possible ».
Un lourd silence suivit le verdict du chef de
village qui pour une fois n’a pas demandé les positions de ‘’pour ou contre’’,
mais a seulement ’’jaugé’’ les tendances, ou avait-il déjà annoncé son futur
verdict à Waa Dialy qui s’y est courageusement opposé ? . Ndioug se leva,
suivi par Souka et Laa Thirol, alors que Diaraf avait retenu Dem pour lui
éviter les sarcasmes directs du géant Laa Thirol s’ils se rencontraient dehors.
Ndioug laissa la charge à Dem qui a commencé à
officier, mais chaque jour qui passe, le stress de Ndioug devient de plus
inquiétant, jusqu’à le rendre malade. Quelques années après, un matin, alors
que les élèves se rendaient à l’école à Fimela, un d’entre eux aperçut quelque
chose qui se balançait sous une branche du Ngaan. Les gamins pénétrèrent dans
la maison et vont jusqu’à l’arbre et découvrirent qu’un homme se balançait.
C’était Ndioug, que les adultes après avoir chassé les enfants, avaient
descendu de l’arbre.
Après l’enterrement de Ndioug, le jour-même, le
fougueux Souka du reste sourd depuis très longtemps, arracha de force la charge
et interdit à Dem d’officier, faisant fi d’une quelconque décision de Diaraf.
On calma Dem, et le chef de village ne fit rien contre Souka. Mais, si le chef
du village n’avait pas réagi, qu’on ne se méprenne p as : les relations entre Souka et Niokhor le
chef de village sont si complexes, si proches et si secrètes ! D’ailleurs
deux fils de Souka comptaient parmi les huit garçons que Diaraf Nokhor Kangou,
assurant la fonction de Kalma (premier lieutenant de Kumax Yandé, chef du bois
sacré d’initiation des hommes) avait lui-même décidé d’initier chez lui !
En 1962, Diaraf Niokhor Kangou BOB mourut, et
immédiatement, Fap Moussa DIAM que Niokhor Kangou et Waa Dialy avaient bien
préparé lui succéda.
Souka resta prêtre jusqu’à sa mort et un fils de
Ndioug (Sakou FAYE) fut l’héritier, puis à la mort de ce dernier, la charge
revient à Louis Djack le fils de Souka. A la mort de Louis Djack, la charge revient curieusement à
Fata Kor, le fils de Dem, mais il semble que, à huis clos, c’est de la décision
et de la volonté de Commissaire Gabriel Ndar FAYE l’héritier légitime.
Qui succèdera à Fata Kor Yandé ?
Fin
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