Raymond Diégane NDONG

 

TOKO WALY, NIOKHOR KANGOU, LE PETIT GARCON ET L’INCENDIE DU VILLAGE

 

Contribution au centenaire de la naissance de Léopold Sédar SENGHOR

 

Septembre 2006

 

 

 

 

 

 

 

Djilor Djidiack est un historique petit village dans l’arrondissement de Fimela, département de FATICK, fondé vers 1530 par Djidiack Selbé FAYE venu de Nérran (Sining).

Pendant l’hivernage, tout le monde part aux champs sauf les très vielles personnes, les malades et quelques petits enfants. En cette matinée du début du mois de juillet, aux environs de onze heures, le vieux Dem Coumba FAYE de mbind Kam qui n’allait pas aux champs (il boitait très fortement), et le vieux Soulèye, « sourga » de Papa Ndiouga SENGHOR de « mbind » Diogoye, avaient coutume de bavarder en prenant l’air sous les grands fromagers de la place du village qui sépare la maison de ‘’mbind kam’’ et celle de Diogoy SENGHOR.

A cet instant, un homme est arrivé, venant de la route de Fimela, habillé d’un kaftan gris et d’un pantalon bouffant appelé ’’thiaya’’, avec un air débonnaire et tout souriant. Il les salua cordialement et Dem lui demanda des nouvelles de sa famille, puis il demanda d’où venait et ce qu’il cherchait.

Il répondit qu’il s’appelait Baba Diallo, et qu’il prospectait les marchés de ‘’Ditax’’ que les commerçants devraient bientôt commencer à acheter. On lui aurait parlé d’un gars dont il avait oublié le nom mais dont la maison est parmi les dernières du village vers le Sud.

-       « Tu peux toujours aller voir, mais vraisemblablement, il n’y a personne

puisque certainement tout le monde est allé en brousse, même les vielles femmes sont dans leurs rizières occupées à extraire les mauvaises herbes » lui avait dit Dem Coumba.

Le sournois remercia les deux vieux et prit la rue longeant mbind Diogoy, puis mbind Diaga Téning à droite et mbind Mory à gauche, et d’un pas mesuré pour ne pas attirer l’attention, ce qui était du reste une mesure de prudence initule. Il arriva à mbind Waa Dialy, Moussa Coumba et Fap Moussa Diam, donnant le dos à mbind Mignane Khadiome. Juste à la hauteur de la case de Moussa Coumba toute proche de la rue, il s’arrêta et jeta furtivement un regard derrière lui, sortit ses allumettes, mit le feu sur la toiture en paille dans le sens du vent qui tournait vers le sud-est. Le forfait réalisé, il retourna sur ses pas mais en prenant la rue de gauche entre mbind Mory et mbind Mignane Khadiom, tourna encore à droite entre mbind Mory et Mbind Ndoof Diouf, et arriva à nouveau à la place publique où les deux vieux étaient toujours en train de palabrer.

-       « Tu as vu celui que tu cherchais ? » lui demande Dem

-       «  Non, mais, mentit le lugubre, un garçon m’a montré la maison » ;

Sur ce en disant ‘au revoir’’, d’un pas mesuré mais ferme, sans se retourner, il prit la route de Fimela, disparut rapidement des regards de Dem et de Souleye et partit ainsi.

-       « Ce garçon, ça doit le courtier de Waa Diali » dit le vieux Souley

-       « Cela m’étonnerait que Rémong parle ainsi à un étranger sans l’amener chez Diaraf Niokhor. Ce gars n’a peut être vu personne » rumina Dem sceptique comme d‘habitude.

Pendant ce temps, le feu montait doucement en ceinturant la case, et d’où ils étaient, les deux vieux ne pouvaient pas voir les flammes ou la fumée. Le feu montait toujours et attaqua rapidepent la case de Wa Dialy Bakhoum que la seule porte d’entrée de la maison séparait de celle allumée par le malfrat. Ainsi rapidement le feu se développa en avant vers l’est, mais aussi vers le sud de la maison.

C’est en ce moment que retentit un appel très ferme :

« Rémong hey ! Rémong hey ! hey Rémong ! ».

Le premier appel a juste suffit pour que le garçon agé d’un peu plus de six ans ainsi hélé, se mette en route et pénétra dans la concession d’où venait l’appel.

Le petit garçon est le fils aîné de Léopold Waly NDONG et nommé Raymond Diégane NDONG, est aussi un arrière-petit-fils de Waly BAKHOUM. « Toko » Waly est le frère cadet de Gnilane BAKHOUM qui est la mère de Léopold Sédar SENGHOR et était de la lignée maternelle « Raboor ». Par ailleurs l’une des épouses de Waly BAKHOUM s’appelait Samba DIAM qui était la maman de Fatou THIOR (d’un mariage précédent). Fatou THIOR est la mère de Khady Fatou, elle-même mère du petit garçon de courses de Waly BAKHOUM : ils appartiennent à la lignée maternelle « Khale Foud Mé Diouf »; depuis quelques mois, ce garçon  a été retenu par il ne sait quel conseil de sages, pour rester au service exclusif de « Toko » Waly BAKHOUM, vieux, aveugle et malade en plus (le garçon ne savait pas de quoi souffrait le vieux).

En venant de Fimela, la première maison à la gauche est celle de Diogoye SENGHOR (le père de Léopold SENGHOR) en face du bras de mer, et suivent, toujours en face de la mer: la maison de Diaga SENGHOR, puis celle de Waa Dialy ou Toko Waly BAKHOUM, puis celle de Latyr NDONG (chez le petit garçon) et enfin celle de Sambodj. En face de la maison du petit garçon, à l’ouest, il y’a la maison de Niokhor Kangou BOB. Niokhor Kangou BOB était le chef du village, et était vieux mais surtout malade au point que de temps en temps sa famille s’attardait à son chevet croyant qu’il allait mourir d’un moment à l’autre ou d’un jour à l’autre. Le petit garçon d’en face, était aussi occasionnellement garçon de courses de Niokhor.  

Arrivé dans la maison en courant, le garçon pénétra dans la case du patriarche.

«  Me voici dit-il »

« Va voir si quelqu’un a encore allumé un feu devant notre maison ; si c’est encore Samba Nguénar, dis-lui d’éteindre ce feu » ! hurla-t-il , très nerveux manifestement agacé par la fumée.

Le garçon fit volteface pour s’exécuter, mais s’arrêta net et poussa un cri :

« Wooy ! Lève-toi vite, ta case brûle, lève – toi ! » dit le garçon en lui tira le bras et lui revêtant de sa couverture.

« Essayons de sortir » poursuivit le garçon en le tirant de toutes ses forces.

« Laisse-moi mourir dans ma case » dit le vieil homme en retirant brutalement sa main.

« Non, viens, sortons vite » insista le garçon en tirant le vieillard qui accepta finalement de se lever en grognant :

« Essaie de te sauver, de toute façon il n’il n’y a plus d’issue si ce n’est d’escalader la clôture » dit-il en raillant dans un si complexe contexte.

En effet, la seule sortie était bloquée par le feu : un pan entier de la porte d’entrée commençait à s’affaisser.

Le garçon poussa le vieux vers la porte arrière et fit face à la clôture ; il prit un élan depuis l’intérieur de la case, tamponna de ses frêles épaules la clôture qui ne broncha pas ; il répéta plusieurs fois et à la nième tentative, quelques lattes cédèrent, le garçon élargit la voie, ils s’y engouffrent et se retrouvèrent l’instant d’après dans la rue.

« Amène-moi chez Niokhor Kangou » lui ordonna sèchement le vieillard.

Dès qu’ils entrèrent dans la maison de Niokhor Kangou après avoir parcouru une vingtaine de mètres, « Toko » Waly cria :

«  Niokhor Kangou, Djilor est en train de brûler » !

«  Comment çà » demanda Niokhor en tentant vainement de se lever du lit, et d’enchaîner  mécaniquement: «  Rémong, va chez Wagane Selbé et apportes-moi le grand tam-tam à la place publique ! »

Le garçon détalla et n’entendit pas le reste des ordres du vieux Niokhor qui fulmunait de rage ; il ne sut jamais du reste comment le vieux chef du village a réussi à descendre du lit et des deux marches de la porte de sa chambre, encore moins comment il est parvenu jusqu’à la place publique. Les rumeurs ont dit que le vieux moribond a rampé de sa chambre jusqu’à la place publique, soit sur une bonne centaine de mètres sous un soleil brûlant d’hivernage. Ce mystère n’a jamais été élucidé parce qu’objectivement, le garçon ne sait comment un vieux malade qu’il était obligé d’aider pour qu’il atteigne le petit abris de derrière son bâtiment et qui servait de toilettes serait arrivé à atteindre la place du village !

Le gros tam-tam était soigneusement hissé sur une espèce de rampe faite de planches de branches de rônier soutenues par un gros pilier en bois. Il était hors de la portée du garçon qui monta sur un gros mortier et à l’aide du pilon, après maintes tentatives, fit basculer le gros tam-tam qui allait d’ailleurs lui tomber dessus s’il n’avait pas sauté à terre précipitamment en se roulant vers le côté. Il commença à « manœuvrer » l’immense tam-tam qui lui arrivait à la poitrine pour le sortir d’abord de la case : bouger chaque face du tam-tam et successivement, sans arrêt !, rouler et rouler encore ce machin qui va servir de « téléphone » jusqu’à le sortir de la maison, et enfin, arriver à la place publique où attendait déjà le chef du village Niokhor Kangou, qui, en le voyant, commença à hurler :

«  Plus vite,  plus vite, le village se consume ». Le garçon redoubla d’effort, puis le vieux Souleye vint lui donner un coup de main, ce qui lui permis d’ailleurs d’arriver plus vite jusqu’à Niokhor Kangou qui fulminait toujours de rage. Au bout d’il ne sait combien de temps, il mit le tam-tam à la portée de main de Niokhor Kangou qui redressa l’instrument et tapa rageusement dessus en tambourinant une mystérieuse gamme, s’arrêta quelques secondes et répéta le code à deux reprises et s’écroula ! Dèm et Soulèye vinrent aider le garçon à bien coucher le héroïque Niokhor sur le sol, et c’est seulement à ce moment que le garçon se rendit compte du désastre en voyant le grand brasier devant lui : les cases, les cocotiers très inflammables brûlaient dans le ciel ! Il se souvint des deux gosses dont il avait la garde, rejoignit aussitôt la maison en feu en cherchant les enfants qu’il  trouva dans la case du fond où ils eurent le mauvais reflexe de se cacher, blottis près du canaris alors que cette case commençait elle-même à bruler. Il sortit alors de cette case Mamadou Lamine Bakhoum le fils de Birama Samba et Khady Thiam NDIAYE la fille de sa grand’mère Fatou THIOR. A cet instant précis, toute la grande maison de Waly BAKHOUM composée de six familles finissait de brûler, et celle du petit garçon avait commencé à prendre feu (c’était la direction du vent !).

Mystérieusement, au bout de très peu de temps, ayant décrypté le message du tam-tam et plus tard chemin faisant en apercevant les flammes, les premiers cavaliers arrivèrent, et au fur et à mesure, les habitants arrivèrent et finirent par maîtriser rapidement le feu, l’eau de la mer aidant. La maison du petit garçon avait perdu deux cases dont la cuisine, et de nombreux cocotiers. Cette maison a été sauvée par le courageux tonton Arfang Nokha THIAW , qui a poussé leur cuisine en feu vers la rue de sorte que les autres cases ne furent pas atteintes par les flammes.

Alors que tout le village se désolait, et les femmes pleuraient, très rapidement des hommes avaient interrogé Dem et Souka qui leur parlèrent de l’inconnu. Aussitôt, des cavaliers étaient partis dans toutes les directions vers Yayème et Fimela, alors que des hommes à pieds fouillaient sous les anacardiers entre Fimela, et avec la description que leur avaient donnée Dem et Souley, ils trouvèrent le criminel juste à l’entrée de Fimela derrière le secco, où il était obligé de se cacher pour ne pas rencontrer les habitants de Fimela qui avaient entendu le « téléphone » et couraient secourir Djilor. Il était rattrapé, ficelé et ramené vers Djilor. A mis-chemin il était interrogé et copieusement battu puis tout ensanglanté, il était présenté à l’assistant du chef de village Fap Moussa DIAM.

Un débat qui avait été agité alors que le malfrat était interrogé dans la brousse ressurgit, quand Fap Moussa qui assurait l’interim de Diaraf Niokhor, prit la décision de remettre le criminel au chef d’arrondissement. Pendant l’interrogatoire certains souhaitaient qu’il soit exécuté sur place et enterré et toute la population de Djilor en assumera la responsabilité. Ce courant avait d’ailleurs été soutenu par des gens de Fimela et de Yayème. Un autre courant avait réussi à le présenter au Chef de village qui ordonna, puisqu’il en est maintenant responsable, qu’il fut conduit chez le Chef d’arrondissement. Ainsi, Abdou Mama FAYE de son vrai nom, un danseur de ballet, poings liés, est installé sur une charrette fut conduit vers le chef-lieu d’’arrondissement.

Pendant que les adultes prenaient ces graves décisions, la marmaille que nous composions fouinait partout à la recherche de quelques volailles prises au piège par le du feu et qui avaient brulé.

Vers le début de l’après-midi, une étonnante rumeur s’était emparée du village disant que le malfrat, profitant d’une négligence de ses gardiens, alléguant un besoin pressant de se soulager, avait pris les jambes à son cout et avait disparu dans la brousse. On le chercha partout, jusque vers Simal et Diofior mais en vain. Puis la séance de compte rendu à l’assistant du chef de village fut houleuse, certains (notamment de la ligne dure qui voulait faire la peau au criminel) avaient même accusé les mandatés pour livrer Abdou Mama de complices. Les  supputations allaient jusqu’à envisager des parents possibles de Abdou Mama à Fimela, voire à Djilor, et qui l’auraient caché ! Même les recherches du Chef d’arrondissement et de ses éléments n’avaient rien donné. Certains lui prêtaient même des pouvoirs mystiques qui auraient endormis ses gardiens. Jamais en tous cas Abdou Mama n’a répondu de son crime et il semblait qu’il aurait fui vers la Gambie ou la Guinée Bissau.

Quand les esprits s’étaient un peu calmées, les débats avaient surtout porté sur la personne du criminel et ce qui aurait motivé son geste.

Il s’agissait d’un certain lugubre Abdou Mama qui avait épousé une femme du village du nom de Mama Djiyé Diam avec qui il avait déjà une fille. A la suite d’un différend, Mama Djiyé était revenue avec sa fille chez ses parents et plus personne dans la famille ne voulait se réconcilier avec l’ex-mari, d’où son courroux et pour se venger, il n’a pensé mieux que de mettre le feu sur la case de Adame Thioumbé SENGHOR,  la mère de Mama Djiyé, dans la maison de Waly BAKHOUM !. Il avait « dijoncté » et voilà, il  alluma le feu qui ravagea cette maison.  Le petit garçon s’est longtemps demandé, « mais pourquoi brûler la case de son vieil ami Waadiali qui n’y était pour rien ? « 

 

Samba Khamade et ses enfants étaient désormais, à l’instar des autres familles de la concession, sans abris ni nourritures et habits, plus rien !  Fatou THIOR (la grand’mère maternelle du petit garçon) , sa mère Samba Khamade et son frère Birama Samba partirent rejoindre la famille maternelle à Fimela alors que Arphang et Simon Kéba qui avaient perdu leur atelier de menuiserie, rejoignirent le lendemain-même leur oncle Khamade Thiome à Kaolack. Quel destin !

Voilà comment un geste insensé et criminel qui avait bouleversé tout l’équilibre d’un village et de six familles d’une même concession !

 

Quelques mois après l’incendie, en septembre précisément, « Toko » Waly mourut, et Niokhor Kangou BOB le chef du village le suivit quatre années plus tard (en 1962). Ainsi, Waly BAKHOUM qui s’en inquiétait, n’avait pas pu voir leur garçon de courses, quelques mois après sa mort, assis sur un banc de classe, répétant machinalement les « litanies » du maître, alors que son esprit bourdonnait encore des péripéties de cette dure expérience ; ce drame se figea à jamais dans sa mémoire d’enfant.

Beaucoup de petits romans ont jalonné le compagnonnage hélas court entre le vieux « Toko » Waly et le petit garçon « Rémong ».

 

             Raymond Diégane NDONG

 

P S : « Toko » signifie oncle, mais il est utilisé comme générique pour s’adresser à tout ancien, et tout oncle, englobant alors le grand’père voire l’arrière grand’père

 

Fait le 08 Octobre 2006

 

Contribution au Centenaire de la naissance de Léopold Sédar SENGHOR (2006)

 

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